Qu’est-ce qu’une émotion ?

Le mot « émotion » vient du latin «emovere, emotum» (enlever, secouer) et de «movere» (se mouvoir), et signifie mouvement vers l’extérieur. D’après l’étymologie, les émotions produisent donc des changements, psychiques ou comportementaux, qui provoquent des états subjectifs internes. Ces états internes peuvent être positifs, agréables, comme la joie ou négatives, désagréables, jusqu’à être source de souffrance, comme la colère.

Une émotion est donc une manifestation passagère (quelques secondes à 2 minutes), à la différence d’un sentiment qui perdure dans le temps. Les émotions sont au cœur d’un système qui permet de détecter une situation nécessitant une action.

« Il n’y a pas de différence fondamentale entre l’homme et les animaux dans leur capacité à ressentir du plaisir et de la douleur, du bonheur et de la misère ».

Charles Darwin

Durant des siècles et dans notre société occidentale, l’émotion fut considérée comme une entrave à la raison. Les philosophes et autres penseurs estimaient que les émotions biaisaient systématiquement nos jugements, et que nos jugements seraient plus rationnels s’ils n’étaient pas influencés par nos émotions (influence du stoïcisme). C’est donc chargé d’un lourd héritage que le concept d’émotion va devoir parcourir les âges et gagner ses lettres de noblesse au-delà des Arts.

« L’émotion est le sentiment d’un plaisir ou d’un déplaisir actuel qui ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion. Dans l’émotion, l’esprit surpris par l’impression perd l’empire sur lui-même »

Kant – Anthropologie du point de vue pragmatique

Il est difficile d’établir une notion fixe et universelle aux nuances infinies de l’émotion.

Depuis la fin du XIXe siècle, de nombreuses recherches et études (biologiques, physiologiques et plus tardivement psychologiques) ont permis d’étudier et d’analyser les différents types d’émotions et d’établir une liste des émotions principales.

Paul Ekman, dans les années 70 (et plus tard Tomkins, Izard, Plutchik), a comparé les émotions à des « programmes » qui activent des manifestations musculaires, notamment faciales. C’est en observant ces manifestations faciales des émotions qu’Ekman dressa une première liste « d’émotions basiques », qui lui semblaient alors universelles :

  • la peur,
  • la colère,
  • la tristesse,
  • la joie,
  • le mépris,
  • le dégoût.

Mais il existe néanmoins de subtiles nuances dans la manière dont les émotions sont exprimées, interprétées et nommées, entre les différentes sociétés (Griffiths, 1997). C’est l’une des raisons pour lesquelles Ekman a ensuite plutôt parlé de « familles d’émotions », entretenant des airs de ressemblance entre elles, et que l’on retrouverait dans la plupart des sociétés humaines. Plutchik (1980) a, quant à lui, créé une roue de combinaison de 32 nuances d’émotions. Cette roue est basée sur 8 émotions primaires (faites de 4 paires opposées : joie-tristesse, acceptation-dégoût, peur-colère, surprise-anticipation), décomposées en fonction de leur force d’expression et de ressenti. En 2005, le chercheur suisse Klaus Scherer a créé une nouvelle roue basée sur les valeurs positives et négatives des émotions ainsi que leurs forces plus ou moins « contrôlables ». Un sujet qui n’a donc de cesse d’évoluer et de s’enrichir.

« L’émotion est un régime de mouvement qui s’établit dans le cœur sans la permission de la volonté, et qui change soudainement la couleur des pensées ».

Alain – Philosophe

Au-delà du débat sur le nombre d’émotions identifiées, tout le monde s’accorde à dire qu’une émotion implique quatre réactions chez l’Homme :

  1. un réflexe verbal et non verbal (expressions et micro-expressions du visage, intonation, la posture physique)
  2. un réflexe physiologique (sensation, tension artérielle, sudation)
  3. un réflexe en acte (mécanisme de défense)
  4. un réflexe cognitif (la pensée et les sentiments)

Les émotions représentent ainsi une forme d’intelligence préconsciente. Elles sont des formes de réponses préétablies, intervenant de manière automatique dans notre processus adaptatif.

L’«émotion intérieure » est devenue une « atmosphère » à la fois physique et affective, enveloppant le moi, le monde et les mots qui résonnent et rayonnent dans le blanc de la page comme des cris dans l’air.

À propos de la poésie de Reverdy

De nos jours, la prise de conscience de l’importance des émotions évolue. Les neurosciences, les courants sur le développement personnel, la popularisation de pratiques telles que la méditation, l’intérêt renaissant pour la spiritualité (non religieuse), la philosophie, mettent nos émotions sur le devant de la scène. Les émotions nécessaires depuis 7 millions d’années se sont nuancées, étoffées, et leur identification s’est enrichie ainsi que notre capacité à les verbaliser.

Nommer une émotion n’est pas chose facile, il suffit de demander à un enfant de décrire ce qu’il ressent lors d’une émotion et l’on peut constater qu’il est parfois complexe d’y mettre des mots. Nous sommes fréquemment perdus en matière d’émotions. Nous les réprimons, nous les écartons, nous ne savons pas quel nom leur donner. Bien souvent, nous les laissons même nous emporter sans penser aux conséquences que cela implique.

Pourtant, ces émotions qui nous habitent, nous rendent vivants, nous animent, ne seraient-elles pas une forme d’intelligence ? Ce que l’on appelle aujourd’hui l’intelligence émotionnelle, l’empathie, l’intuition, ne sont-elles pas un moteur, un langage intérieur, un guide ?

Si nous apprenons à écouter nos émotions, à les accueillir sans jugement et reconnaitre qu’elles sont une forme d’intelligence, si nous apprenons à les décoder, à comprendre ce qui résonne en nous, à les accepter sans les combattre, nous pourrions être plus à même de faire face à certaines situations « stressantes », angoissantes, difficiles. La succession d’émotions vives telles que la peur et la colère provoque physiologiquement les mêmes ingrédients que le stress. Il semble alors important d’identifier nos émotions, d’avoir une posture plus apaisante en les acceptant et ainsi d’acquérir une meilleure harmonie intérieure et, de fait, avec l’extérieur.

« Tous les ressentis sont du grain à moudre en ce qui concerne la thérapie, pourvu que le client puisse les exprimer et pourvu que le thérapeute soit capable d’écouter de manière acceptante ».

Carl Rogers – psychologue, fondateur de la Psychothérapie Centrée sur le Client et de l’Approche Centrée sur la Personne

Toutes ces émotions, qu’elles aient une valeur positive ou négative, définissent ce que nous sommes. Elles articulent notre comportement et donnent un sens à chaque chose que nous faisons. Comprendre autant que possible notre langage émotionnel propre permet une meilleure compréhension de soi. Carl Rogers (psychologue nord-américain 1902-1987) ouvrit la voie à un courant humaniste qui se démarqua de la psychanalyse classique en intégrant une part émotionnelle dans son lien thérapeutique. En écoutant et en mettant en action une part de ses propres ressentis lors des consultations (le fameux Self), d’humain à humain, il a pu se rendre compte de l’impact positif de cette interaction dans la guérison de ses patients. Il a ainsi créé une nouvelle forme de thérapie qu’il nommera « Approche centrée sur la Personne » basée sur : l’empathie, le respect, l’acceptation, le non-jugement et la considération positive.

Partons à la rencontre de nos émotions, réapprenons à les entendre, les écouter et les laisser ensuite s’envoler. Elles sont l’expression de notre cœur qui nous guident vers l’essentiel de ce que nous sommes. Elles sont parfois l’expression de nos blessures émotionnelles qui ne demandent qu’à être soignées et apaisées. Apprivoiser nos émotions nous mène sur le chemin de la paix intérieure !

© Illustration par Rébecca Dautremer