Slalomer entre peur et avidité : ces forces qui nous manipulent

Nous sommes souvent tiraillés entre deux grandes forces : la peur et l’avidité. Les mots sont forts et peuvent être difficiles à entendre, mais, ces forces peuvent faire de nous de véritables marionnettes si nous ne prenons pas le temps de les observer et de les comprendre, avec objectivité, honnêteté et douceur. On dit “rendre à César ce qui appartient à César”, est bien ce dont il s’agit : prendre conscience et percevoir quels sont les poids qui nous appartiennent et ceux qui ne sont que le produit de l’extérieur.
Article inspiré par une conférence d’Alexandre Jollien.
Identifier ses peurs
Pour commencer, il est essentiel d’explorer nos grandes peurs. Elles prennent des formes variées : peur de la maladie, peur du regard des autres, peur du manque, peur de perdre, peur d’être rejeté, peur de ce que nous entendons dans les médias et réseaux sociaux… Se poser la question : “Quelle est ma plus grande peur ?” est déjà un pas vers la connaissance de soi. Mais la réponse ne vient pas toujours immédiatement. Elle demande une attention sincère et une observation patiente de notre quotidien.
La peur nous tenaille souvent sans que nous en prenions conscience. La vraie question est donc : “De quoi ai-je vraiment peur ?” Et il est essentiel de ne pas répondre trop vite, car nos craintes sont parfois masquées par des justifications rationnelles ou des détournements d’attention.
L’avidité et la soif de posséder
L’autre grande force qui nous manipule est l’avidité. Ce désir de posséder, au sens large, est omniprésent dans nos vies. Un maître zen japonais disait : “Nous espérons tous gagner au loto.” Mais quel est notre “loto” à nous ? Qu’espérons-nous vraiment obtenir ? Pourquoi nous levons-nous chaque matin ?
L’avidité peut se manifester sous de multiples formes : la recherche de reconnaissance, de sécurité, d’affection. Nous courons toute la journée après quelque chose, mais avons-nous pris le temps de réfléchir à ce qui nous pousse ainsi ? Parfois, il y a un véritable fossé entre ce que nous poursuivons et ce que nous voulons au fond de notre cœur.
L’éducation à la peur
Il est frappant de voir à quel point nous transmettons nos peurs à nos enfants. Nous avons peur pour eux, nous voulons les protéger, mais en réalité, nous leur offrons une vision du monde empreinte d’inquiétude et de méfiance : “Attention, derrière cette porte, ça craint !” Cette surprotection ne fait que renforcer notre propre peur, tout en la léguant aux générations suivantes.
Plutôt que d’entretenir un climat de crainte, nous pourrions choisir une prudence vertueuse, une démarche qui nous pousse à explorer et à découvrir le monde sans nous y enfermer.
L’illusion de la possession
Nous croyons souvent que la sécurité réside dans l’accumulation. Mais sommes-nous possesseurs ou possédés par ce que nous croyons posséder ? Comme le disait Sénèque : “Le bonheur, c’est se réjouir du nécessaire.”
Socrate, lui, parcourait les marchés en contemplant les marchandises et se réjouissait en pensant : “Que de choses dont je n’ai pas besoin !” C’est un exercice spirituel simple mais puissant. Nous pouvons nous y essayer : aller dans un magasin, tout regarder, mais ne rien acheter. Identifier notre désir de posséder sans nécessairement le satisfaire.
Nous faisons parfois la même erreur avec la spiritualité, croyant qu’un livre ou une lecture va nous rendre heureux. Mais le premier pas est simplement d’identifier nos manques, sans chercher à les combler immédiatement.
La dictature du regard des autres
Michel Foucault disait que le pouvoir était autrefois entre les mains d’un roi, mais qu’aujourd’hui, il réside dans le contrôle social, notamment par le regard des autres. Les réseaux sociaux en sont un exemple frappant : une étude a même montré que l’ouverture d’un compte Facebook faisait baisser le niveau de bonheur, en raison de la comparaison permanente avec les autres.
Nous sommes obsédés par cette mise en scène de nous-mêmes. Le jour où j’ai vu qu’il était devenu “normal” de publier une photo de sa pizza sur Facebook, je me suis demandé : “Quelle avancée technologique !”
Mais au fond, la vraie liberté ne consiste-t-elle pas à se détacher du regard des autres ? Pas par indifférence, mais en trouvant une forme de véritable autonomie. Ne rien avoir à cacher, mais ne rien avoir à prouver non plus.
Vers une liberté intérieure
Travailler sur soi, c’est apprendre à être libre du regard des autres. Ne plus être rongé par la peur de décevoir ou le besoin de plaire. Ce grand carnaval des apparences nous coupe de la vérité et nous épuise.
Comme le dit Chögyam Trungpa, dans son livre L’entraînement de l’esprit, il faut comprendre que “tout est impermanence”. Rien n’est solide dans la vie, tout change en permanence. Nous passons de la joie à la tristesse, du gain à la perte… Et c’est une bonne nouvelle. Car si tout est fluide, pourquoi vouloir figer les choses, s’accrocher à une illusion de stabilité ?
En fin de compte, rien ne nous appartient vraiment, pas même nous-mêmes. Se libérer de la peur et de l’avidité, c’est embrasser cette réalité et apprendre à exister avec légèreté, sans vouloir posséder ni contrôler. C’est là que réside la véritable paix intérieure.
Illustration © Grandfailure